Je suis une personne active qui s’est vue bien malgré elle limitée dans ses mouvements par un genou gauche usé. Voyez-vous, j’ai dû arrêter de courir en 2009, ce qui ne m’a pas empêché de participer à la compétition Ironman de Lake Placid en portant une orthèse en fibre de carbone DonJoy et en marchant la portion marathon. Je n’ai pas pu terminer les compétitions Ironman Canada de 2012 et de 2013. En 2013, ma jambe gauche était tellement arquée que j’avais presque constamment mal dans le bas du dos.
En décembre 2013, j’ai donc décidé de subir une arthroplastie totale du genou réalisée par le Dr Richard Jenkinson, au Holland Orthopaedic & Arthritic Centre, à Toronto. Je l’ai fait pour ménager mon dos, je l’ai fait pour retrouver la forme, et je l’ai fait pour être en santé dans la soixantaine et après.
Quand je suis graduellement revenu à moi dans la salle de réveil, l’anesthésiste m’a soufflé à l’oreille : « C’est là que le travail commence. » Depuis, j’ai souvent repensé à elle. Le premier mois, c’est Susan Typert, mon épouse, qui entrait ma jambe rigide dans la voiture et qui l’en sortait. Il aura fallu quatre mois avant que mon genou ankylosé me permette de plier suffisamment la jambe pour faire un tour complet de pédalier sur un vélo stationnaire. Cet été-là, je pouvais rouler tout au plus 30 km avant d’avoir le genou fatigué – c’était très décourageant après avoir pédalé 180 km dans une compétition Ironman.
À l’été 2015, j’ai pu participer à trois triathlons, tous un peu plus longs que le précédent. Le plus long était à Kingston, en Ontario : 2 km de nage, 45 km de vélo et 15 km de marche en 5 heures et 30 minutes. Ouf! C’était beaucoup plus lent qu’à ma première participation à cette course, en 2008. Mais ça m’a vraiment fait plaisir de pouvoir bouger pendant 5 heures et demie sans que mon nouveau genou pose problème.
C’est un cadeau incroyable de pouvoir marcher sans orthèse ni douleur, sans avoir à appliquer de glace ou à prendre des anti-inflammatoires. C’était tellement agréable que, cet été-là, j’ai troqué le triathlon pour la course en sentiers, question de profiter pleinement de mon nouveau genou. À la ligne de départ, j’ai regardé les jeunes visages débordant d’enthousiasme autour de moi (j’ai 59 ans) et je me suis dit : « T’es le plus vieux ici. T’as déjà gagné. » Évidemment, comme je marchais, ils m’ont vite perdu dans la poussière!
Depuis octobre 2015, j’ai participé comme marcheur à 3 courses en sentiers de 26 km. Encouragé, je me suis inscrit à mon premier ultra-marathon de 50 km, à Haliburton Forest, en septembre dernier – le plus grand défi imposé à mon genou en titane.
De toutes les courses en sentiers et ultra-marathons en Ontario, le plus difficile est celui de Haliburton Forest : 800 acres de collines interminables qu’on doit franchir en se frayant un chemin entre rochers, racines et rondins tout en traversant terrains boueux et ruisseaux.
Mon objectif? Franchir les 50 km à un rythme soutenu de 5 km/heure pour terminer la course en 10 heures environ. La partie critique de l’entraînement s’est déroulée tous les samedis : mon partenaire d’entraînement, Mike Starmans, et moi avons graduellement augmenté la durée et la distance jusqu’à 7,5 heures et 35 km en une sortie. Cette dernière longue marche, deux semaines avant la course, ne s’est pas bien passée, et j’ai commencé à avoir peur des répercussions que pourrait avoir mon désir de constamment repousser mes limites.
Le jour de la course, nous étions environ 200 personnes dans la noirceur, à 6 h du matin, nos lampes frontales créant des ombres sinistres; tête baissée, nous nous sommes recueillis pendant la prière de Helen Malmberg, directrice de la course. Elle nous a dit que, aux moments les plus durs de cette longue journée, nous ne devions pas oublier que les humains, comme les loups dans la forêt, sont des bêtes sociales – trouvez la meute, et elle vous aidera à passer au travers.
Et c’est comme ça que ça s’est passé. Pendant 10 heures et 16 minutes, Mike et moi avons mis un pied devant l’autre, peu importe le terrain, la soif et la faim, sous la pluie et le soleil, qu’il fasse jour ou nuit, froid ou chaud. Nous avons marché (et boitillé à cause des crampes) et marché… Au trente-cinquième kilomètre, quand nous étions sur le point de nous effondrer, nous avons enfin trouvé notre meute : un groupe de jeunes filles qui discutaient dans les bois. « Ouch, ton genou est vraiment enflé. » Nous avons bavardé et marché avec elles jusqu’à environ 5 km du but.
Les deux derniers kilomètres, j’étais épuisé et sale, mais j’avais la ligne d’arrivée dans ma mire; c’est là que j’ai senti la présence de mon père, décédé en 2010. J’ai rendu grâce à mon père pour m’avoir gardé en sécurité dans cette brousse. J’ai rendu grâce pour ce cadeau exceptionnel qu’est mon nouveau genou gauche et cette seconde chance de faire les choses que j’aime.
Et, pour la première fois depuis ma chirurgie en décembre 2013, j’étais satisfait : « Oui, John, la douleur, la marchette, les cannes, les médicaments, la physio interminable et les étirements constants, tu es passé au travers.
Regarde tout ce que tu as accomplis. »
Représenté : John Racovali (à gauche) et Mike Starmans, son partenaire d’entraînement.
Source de la photo : Dave Sweeney